Revue: Team of Teams

Couverture du livre Team of Teams

Par General McChrystal et al.

L'essentiel du livre suit la "Task Force" de l'armée US en Iraq alors qu'elle doit s'adapter à une guerilla d'AQI (Al Qaeda en Irak).

Les auteurs développent leur proposition d'organisation d'une équipe d'équipes ("team of teams") progressivement, à travers une succession de compte-rendus de missions militaires de cette campagne.

Ils complètent leur raisonnement d'illustrations venant du monde civil pour démontrer comment le type d'organisation qu'ils mettent en avant peut s'appliquer dans un domaine plus large. De façon intéressante, cela les amènes à déconstruire certaines idoles du monde entrepreneurial telles qu'Adam Smith et Taylor et leur opposer d'autres idoles parfois plus inattendues sur ce sujet telles que Tocqueville, l'amiral Nelson, George Mueller de la NASA et un ancien maire de New-York, Bloomberg.

Dans les tous derniers chapitres les auteurs donnent aussi quelques exemples d'initiatives qui ont contribué à changer l'organisation de la "Task Force". Ces exemples sont intéressants mais c'est aussi la partie que j'aurais aimé voir plus détaillée.

Voyons donc ce qu'est une équipe d'équipe pour ces auteurs.

Une équipe d'équipe !

Organiser une équipe d'équipes est une façon, pour un large organisme (une armée, une entreprise commerciale, etc), de mieux répondre à un environnement devenu complexe, où les objectifs et difficultés sont nombreuses, interconnectées et rapidement changeantes. Il s'agit de s'organiser lorsque même le court terme ne peut plus être prédit de façon fiable.

Le premier élément consiste à dire que des améliorations incrémentales sur les tactiques et technologies telles qu'elles fonctionnent dans un environnement plus conventionnel ont peu de chance de faire une différence notable dans un environnement devenu chaotique.

L'efficacité n'est plus suffisante, elle doit même être échangée, partiellement, contre une plus grande capacité à s'adapter.

Pour cette raison les auteurs recommandent de laisser de côté les approches "réductionistes" de la gestion scientifique qui nécessitent une capacité de prédiction et de planification qui n'est plus accessible dans ce nouveau type d'environnement.

Les auteurs proposent leur définition d'une (simple) équipe en l'opposant à une /commande militaire/ et comme une unité dans laquelle la confiance mutuelle et le partage d'un but commun permet aux membres de l'équipe de trouver ensemble des solutions aux situations imprévues.

Illustration de silos agricoles

Ils étudient ensuite le fait qu'avoir de telles équipes "au bout" d'une organisation restée essentiellement hiérarchique ne suffit pas, notamment à cause d'effets de silos.

L'équipe d'équipes qu'ils recommandent est ainsi une transformation de l'organisme entier dans le but d'installer une relation de confiance mutuelle à travers tous ses constituants et partager la même vision du but commun. Il s'agit aussi de conserver l'expertise spécifique de chaque équipe mais en se débarrassant des oeillères créées par la spécialisation.

Comment mener ce changement ?

Une première phase de la mise en place d'une équipe d'équipes a été d'étudier et de visualiser comment l'information circule d'une équipe à une autre pour trouver les goulots d'étranglements à enlever ainsi que les opportunités manquées pour des communications horizontales (cad direct d'une équipe à une autre).

Dans une deuxième phase, deux actions principales ont été mises en oeuvre pour améliorer la circulation de l'information: une action "physique" et une action "procédurale".

L'action physique a consisté à réarranger la salle où une réunion d'information journalière avait lieu de telle sorte que toute personne présente dans cette salle puisse voir les mêmes informations (sur des écrans communs) mais en faisant aussi attention que les équipes qui travaillent avec des échéances temporelles similaires soient côte à côte.

Le process a été changé pour "forcer" chaque information à être partagée à une plus large audience (ex: en ajoutant plus de destinataires en CC). Les auteurs expliquent que le gain en réactivité obtenu ainsi compense très largement l'éventuelle augmentation du "bruit".

Schéma simplifié d'un réseau de personnes interconnectées

Mais tout ceci n'a pas été suffisant pour aboutir et deux autres actions au moins ont été nécessaires pour accompagner ces changements d'organisation par un changement de culture:

  • embarquer les personnes d'une équipe dans une autre pour établir un lien de confiance plus fort et une plus grande compréhension mutuelle.
  • un groupe de pioniers a dû faire le premier pas vers la transparence et vers une plus rapide prise en compte des informations partagéees par les autres. C'est une façon efficace de contourner le manque de confiance mutuelle (cf "le dilemne du prisonier") mais aussi de montrer la valeur ajoutée de la nouvelle organisation.

Conclusion

C'est pour moi un peu inhabituel de lire un livre sur le "management" qui contiennent tant d'exemples tirés de l'expérience militaire.

C'est aussi inattendu de le voir démonter méthodiquement la nécessité d'une hiérarchie et de silos. Quoiqu'en même temps cela puisse aussi faire penser aux références à son passé militaire que fait occasionnellement Jeff Sutherland, un des co-fondateurs de Scrum.

Un des points les plus intéressants c'est la démonstration d'à quel point le manque de prédictabilité déjoue tous nos à priori sur ce que doit être une "bonne" organisation. Et là encore cela fait un peu penser à la partie "théorique" de "Scaling Lean and Agile development" de Craig Larman et al lorsqu'il évoque la théorie des files d'attentes.

A la première lecture du livre j'ai cependant été déçu de voir que la description d'une équipe d'équipes prenait beaucoup moins de place que celle d'une équipe toute simple. En particulier, je m'attendais à plus de détails sur les spécificités d'une équipe d'équipes et de la façon de la mettre en place et de résoudre les inévitables forces contraires.

Cependant, en deuxième lecture, ce déséquilibre me semble aussi aligné avec la vision des auteurs: une équipe d'équipes n'est censé être rien d'autre qu'une simple équipe où chaque individu est, en fait, une équipe. Un concept qui évoque un peu le principe fondamental de LESS dans la communauté Agile.

Au final ce livre est une lecture que j'aprécie en complément d'autres livres plus axés sur la mise en place de telles structures, car il ne ressort pas de cette lecture seule tellement de pistes pour appliquer un un changement similaire dans un autre contexte.